Sara Veyron chante de Georges Cagliari
Piano Philippe Mira
 
Balades du temps présent« Il n’y a pas d’amour heureux… » disait le poète. Mais il y a des rencontres heureuses pourrait dire l’écrivain et poète de Georges Cagliari dont les poèmes s’incarnent aujourd’hui dans la voix de Sara Veyron. Il écrit en 1995 une dizaine de textes de chansons pour lesquels il reçoit le Prix Albert Willemetz. Grâce à la rencontre d’Allain Leprest qui le met en contact avec ses compositeurs, les textes de Georges de Cagliari trouvent leur identité musicale et seront interprétés entre autres par Yves Jamait. S’appropriant aujourd’hui les chansons de Georges de Caligari qui s’inscrivent dans la lignée de Villon, Brassens, Ferré, Sara Veyron, avec son talent de comédienne, elle leur donne chair, fait entendre leurs sonorités secrètes, intimes, les traduit en images. Avec sa belle voix claire et profonde, aux résonances rappelant parfois Barbara, accompagnée au piano par Philippe Mira, elle nous ouvre l’univers du poète, flâneur du quotidien et nous fait partager ses rêves, ses hantises, ses révoltes.
 
Comédienne, metteur en scène, fondatrice en 1997 et animatrice du Théâtre du Chaos, Sara Veyron met d’abord en scène en 2004 les textes de Georges de Cagliari Fin de terre et Le clochard stellaire. Sa complicité artistique avec le poète se poursuivra dans le champ de la chanson dont elle capte et incarne sur scène la matière dramatique. En 2012 elle donne une vingtaine de concerts Sara Veyron chante Georges de Cagliari au Festival d’Avignon. Ces chansons, rassemblées dans un CD La beauté du vent, composent son spectacle lancé le 5 octobre au Café de la Danse à Paris.Le ton, l’esprit et le décor du voyage auquel elle nous invite sont donnés dès La complainte à François Villon (musique Jehan) qui ouvre le spectacle en faisant résonner, par-delà le temps, les parentés entre les deux poètes. « Villon, hormis la poudre aux yeux, nous vivons en même servage, cour des misères en banlieue avec archers pour mettre en cage… ». L’ironie et l’humour féroce dénoncent dans Les marchands (musique Gérard Pierron), le discours cynique et la complicité entre l’industrie des armes, la finance et le pouvoir. Avec une dérision incisive de Cagliari se moque dans Telecon (musique Fred Parker) du savoir prémaché des « mieux-disants culturels » dispensé à la télé qui nous offre des images labellisées du « monde filtré ». Ou bien encore dans Charity Business (musique Nathalie Miravette) il démystifie les humanitaires professionnels qui font leur business en s’occupant de nos consciences, en manipulant nos émotions et notre compassion et qui « passionnés » par la misère dans les pays lointains préfèrent ignorer celle à leurs portes.Sans misérabilisme ni compassion sensibiliste de Cagliari parle dans Banlieue (musique Pierre Margot) des jeunes « Arlequins au destin de traîne », qui, sans avenir, n’ayant que désarroi pour horizon, jouent leur vie. Ne rêvent-ils pas de liberté, de s’échapper de la monotonie du monde formaté, encagés comme ces tziganes « bardés de briques et de portes » que les murs enchaînent dans Les pierrots lunaires (musique Philippe Biais). Il y a dans ses textes la dérision, voire la révolte contre les injustices, le cynisme arrogant, l’exploitation de la misère, l’indifférence, mais il y a aussi la tendresse, la mélancolie rêveuse quand le poète évoque dans La vieille et la pluie (musique Étienne Goupil) la solitude et la routine quotidienne de la vieillesse avançant dans la grisaille du temps « qui nous désarme ». Il y a aussi la mort « qui fait main basse sur le rire des enfants » quand le clown s’en est allée dans Les rires et le clown (musique Yves Jamait). Il y a encore d’autres petites histoires que Sara Veyron, transforme en brèves scènes, en miniatures théâtrales chantées.Dans le voyage dans la poésie de Georges de Cagliari qu’elle propose, les tons, les ambiances, les rythmes changent parfois brusquement, à l’instar des événements de la vie, des sensations, des émotions qui nous font passer du rire aux larmes. Avec une grande économie de gestes, de mouvements, en jouant parfois juste du registre dramatique de sa voix, elle fait advenir des images, des figures, des bribes de vie, bref un théâtre sonore imaginaire, auquel les éclairages de Jacques Rouveyrollis confèrent une étrange intensité.

Les poèmes chansons de Cagliari, tels des pierres précieuses, trouvent dans les musiques de Olivier Foucher, Gérard Pierron, Eddy Schaff, Yves Jamait, Romain Didier, Bernard Joyet et d’autres, et dans les arrangements de Philippe Mira au piano, un écrin idéal, sur mesure.
Irène Sadowska Guillon

CD La beauté du vent – Éditions La Musaraigne accompagné du livret des textes des chansons.

Cet article a été publié le Mardi 29 octobre 2013 à 19:21.